Enquête « Conditions de travail sous covid-19 »

Temps de travail en télétravail et risques psychosociaux
dimanche 31 mai 2020
par  sudeducationalsace
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Tout d’abord nous remercions les 745 personnels qui ont pris le temps de bien vouloir participer à notre enquête. Celle-ci a été menée durant la semaine du 6 au 10 avril, après trois semaines de confinement et de télétravail pour la majorité de nos collègues sondés.

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Afin de savoir si notre échantillon d’étude est représentatif, nous avons comparé les données recueillies à celles fournies par le bilan social 2018 du rectorat ainsi que celles publiées par la DEPP en mars 2020 [1] sur la répartition homme / femme au sein de l’académie de Strasbourg.

Le tableau suivant synthétise cette comparaison :

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En plus des personnes décomptées dans ce tableau, 4 personnels d’orientation ont répondu.

Nous voyons donc que notre échantillon n’est pas représentatif de l’ensemble des personnels. En effet, nous pouvons constater :
• un faible taux de réponses parmi les personnels de vie scolaire et principalement les non titulaires, ce qui peut s’expliquer par la difficulté à toucher ces personnels ;
• une surreprésentation des enseignants du second degré et notamment des enseignantes ;
• une surreprésentation générale des femmes ;

Il serait possible de redresser les résultats obtenus pour qu’ils soient représentatifs de l’ensemble des personnels. Cependant, cela nous obligerait à utiliser des “boîtes noires” et ne nous permettrait pas d’être aussi transparents avec vous que ce que nous vous avons promis. Ainsi, tous les messages concernant cette enquête devront être vus comme étant une description des profils des réponses obtenues et non extrapolées à l’ensemble des personnels.

PARTIE 1 : Le temps de travail : télétravail et risques psycho-sociaux

Rappelons tout d’abord que le télétravail (ou “travail à distance” comme l’a désigné le rectorat afin de se soustraire aux règles régissant le télétravail) mis en place dans le cadre de l’épidémie de COVID-19 se différencie du télétravail régulier pour plusieurs raisons :
• il s’agit d’un télétravail imposé dont la mise en place a souvent été très rapide, pratiquement sans préavis ;
• ce télétravail est effectué à temps plein, sans période régulière de retour au bureau ;
• il se pratique pour la plupart des personnes concernées dans un environnement familial particulier : conjoint également en télétravail, enfants à la maison suivant leurs cours à distance ;

Nous avons tout d’abord décidé de nous intéresser au temps de travail des personnels en télétravail.

Le temps de travail des personnels de l’éducation et en particulier des enseignant•es est une problématique récurrente car il est difficilement mesurable. Leur statut prévoit effectivement un temps de service hebdomadaire devant élèves (18h pour les certifiés, 15h pour les agrégés, 20h en EPS, 25h pour les PE) mais qui est sans compter le travail lié à la préparation des cours, la correction des copies ainsi que le travail administratif dans un sens très large (préparations, notes et bulletins, tenue du cahier de texte, suivi des élèves, contact avec les parents, dossiers…). Dans l’administration, les heures supplémentaires effectuées par les personnels IATOSS ne sont par ailleurs pas toujours récupérées. La mesure de ce temps de travail est donc un enjeu important.

En 1998, la loi Aubry a fait basculer l’ensemble de la fonction publique à 35h en faisant passer le temps de travail hebdomadaire de 39h à 35h pour 1607h annuelles. A l’époque, les enseignant•es n’ont pas bénéficié de cette politique de réduction du temps de travail et plus récemment une enquête menée par l‘INSEE évaluait à 41,17 heures en moyenne [2] le temps de travail hebdomadaire d’un enseignant, toutes missions confondues, donc bien au-delà de 35 heures. Les personnels IATOSS quant à eux ne bénéficient que rarement des 35 h hebdomadaires, ce qui est compensé par l’obtention de RTT.

Parallèlement, les études et enquêtes parues sur le télétravail sont peu nombreuses et font l’objet d’enquêtes de la DARES depuis peu. On sait qu’il concerne 6% des salariés en France, répartis à part égale entre le service public et le secteur privé et concerne essentiellement les cadres, qui y sont surreprésentés, et les employé•es de bureau. La question du temps de travail est quant à elle bien documentée. Nous nous appuierons sur les travaux de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et le rapport Gollac [3] afin d’analyser les résultats de notre enquête en matière de temps de travail : combien de jours par semaine les personnels concernés ont-ils télétravaillé ? A quels moments dans la journée et avec quelle régularité ? A combien d’heures cela correspond-il dans la semaine ?

Quelle est l’amplitude hebdomadaire du télétravail ?

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Parmi les sondés s’étant déclarés en télétravail, 596 ont déclaré avoir travaillé plus de 3 jours depuis leur domicile. S’ils peuvent être considérés comme télétravailleurs intensifs au sens de la DARES (3 jours et plus) [4], ceci s’explique par le caractère permanent du télétravail durant cette période de confinement. 192 personnels ont déclaré avoir travaillé 5 jours par semaine, 129 ont déclaré avoir travaillé 6 jours par semaine et 164 ont déclaré avoir travaillé 7 jours par semaine.

Cette intensification du télétravail jusqu’à 7 jours par semaine s’explique, pour une grande partie des sondés, par un éclatement des pratiques de télétravail en raison d’une menée en parallèle des tâches familiales. Ainsi, la difficulté à se fixer des horaires de travail fixes en raison du rythme familial est apparue
chez de nombreux personnels. 261 personnes sondées ont reconnu ne pas avoir d’horaires de travail réguliers pour ce motif. Parmi elles, 176 estiment que ce télétravail a eu un impact sur leur vie privée soit négatif, soit catastrophique, soit générateur de conflits familiaux. Ceci peut s’expliquer par la permanence d’un dispositif qui isole les personnels et casse les collectifs de travail générateurs d’interactions sociales.

Cette période de télétravail à temps plein est donc génératrice de risques psychosociaux accrus tels que :

  • l’isolement (professionnel et social) ;
  • l’absence de concertation avec les collègues ;
  • la surexposition aux écrans et les problèmes cervicaux liés à l’usage intensif des ordinateurs portables ;
  • le stress ;
  • les difficultés à concilier vie familiale et professionnelle, à trouver une organisation stable et l’absence de limite entre les deux ;
  • le manque de matériel permettant le télétravail au domicile ;
  • le conflit éthique (contradiction entre les convictions personnelles et travail demandé) et la qualité empêchée (impossibilité de faire du bon travail en raison de l’organisation de celui-ci),...
    Ces risques sont documentés par le rapport Gollac [5].

Parmi ces 261 personnes, 212 ont également déclaré avoir travaillé le week-end. 78 d’entre elles ont travaillé en soirée et la nuit et 71 sondés cumulent un travail en soirée ou la nuit ainsi que le week-end. Parmi ces derniers, 64 sont des femmes. Ces horaires décalés correspondent à des moments où les enfants du foyer ne sont plus éveillés ou bien qu’une deuxième personne présente au domicile peut assurer la relève dans les tâches familiales (le week-end par exemple). Parmi les 71 personnes en horaires décalés, tous indiquent la présence d’enfant(s) à qui il faut faire l’école à la maison avec ou sans conjoint, qu’il soit en télétravail ou non.

Ces horaires antisociaux peuvent générer des risques psychosociaux : accroissement de la fatigue et du stress avec une deuxième journée de travail (après s’être occupé des enfants et de sa famille) et comme l’indique le rapport Gollac [6] une perturbation de l’horloge biologique et perturbation de la vie sociale et familiale. Parmi ces personnes, 25 font état d’un télétravail qui génère des conflits familiaux.

Ces données recueillies viennent conforter l’un des “points de vigilance” que l’INRS a diffusé sur son site internet : “en situation de confinement, il [le télétravailleur] partage son espace avec sa famille elle-même confinée, avec des charges familiales chronophages (garde d’enfant, école à la maison…). La séparation du temps et de l’espace entre travail et activités privées est totalement bouleversée” [7].

En parallèle, 47 sondés en télétravail ont indiqué ne pas avoir d’horaires de travail réguliers par choix, 87 sont parvenus à avoir des horaires réguliers et 256 sont parvenus “à peu près” à avoir des horaires réguliers.

Quelle est la durée hebdomadaire du télétravail en confinement ?

A partir des réponses des sondés à la question “Au total, à combien d’heures estimez vous le temps passé pour le télétravail par semaine (préparation technique comprise) ?”, nous pouvons nous intéresser au temps de travail hebdomadaire. L’étude de cette durée hebdomadaire en confinement nous amène à constater
que :

  • 203 personnels déclarent avoir travaillé entre 24 et 37 heures par semaine ; 114 personnels (18,78%) déclarent avoir travaillé plus de 41h par semaine ; 29 personnels (4,65%) ont déclaré avoir travaillé plus de 50 heures par semaine. La moyenne du temps de travail hebdomadaire de tous les personnels confondus en période de confinement et à temps plein s’élève à 30,7 heures ;

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  • 243 enseignant.es (soit 42,93%) déclarent avoir travaillé entre 25 et 40 heures ; 110 enseignant.es (soit 19,43 % des enseignant•es sondé•es) déclarent avoir travaillé plus de 41h par semaine. Ce seuil de 41 heures est important car il marque le dépassement de la moyenne de temps de travail hebdomadaire en période habituelle pour un enseignant à temps plein. En confinement, la moyenne de temps de travail hebdomadaire s’élève à 31,41 heures pour les enseignant•es à temps-plein d’après nos calculs ;

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  • 16 personnels IATOSS déclarent avoir travaillé entre 15 et 35 heures (graphique 3). La moyenne du temps de travail hebdomadaire en confinement pour les personnels IATOSS à temps plein s’élève à 26,36 heures.

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Le second constat est qu’il existe de grandes disparités entre les sondé•es, certain.es déclarant un nombre d’heures très élevé et d’autres très faible. Ainsi, 96 personnels déclarent un temps de travail hebdomadaire inférieur à 20 heures dont 67 n’exerçant pas à temps plein. 5 personnels à temps plein déclarent avoir dépassé 68 heures de travail hebdomadaire.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cela selon les études de l’INRS [8] :
• des situations familiales diverses ;
• des difficultés dans le fonctionnement et la prise en mains des outils numériques ;
• des difficultés dans l’anticipation et la planification des tâches ;
• l’isolement et des difficultés dans la gestion de l’autonomie ;
• la nécessité de préserver un équilibre entre vie professionnelle et vie privée ;
• une hyper-connexion au travail (explosion des sollicitations par mail, création de nombreux groupes
d’échanges, audioconférences permanentes…). S’y ajoute le besoin de se rendre utile, de ne pas se
faire oublier…
• l’absence d’un espace spécifiquement dédié au télétravail avec un poste de travail adéquat, voire
l’absence de matériel informatique nécessaire au télétravail ;
• à la marge, par la diversité des postes occupés.

Troisième constat n’apparaissant pas dans les graphiques précédents, un certain nombre de collègues semblent avoir perdu la maîtrise de leur temps de travail et sont dans l’incapacité d’indiquer une estimation, soit parce que celui ci est trop “haché”, soit parce qu’il dépasse le temps de travail habituel de manière “incalculable”. Ils répondent alors de la façon suivante : “je ne compte plus”, “je ne compte pas mais beaucoup plus qu’avant”, “trop difficile à évaluer car irrégulier mais toujours à l’esprit”, “plus que mon temps partiel”, etc. Dans cette période de télétravail et d’enseignement à distance, le temps de travail hebdomadaire a également explosé pour un nombre non-négligeable de collègues. Cela peut s’expliquer par l’absence de cadre, la volonté et le besoin de suivre tous les élèves individuellement, etc.

En résumé, cette période de confinement a vu l’intensification du télétravail étendu parfois à tous les jours de la semaine à cause de pratiques plus dispersées notamment en raison du cadre familial dans lequel il s’exerce. En parallèle, si le temps de travail a pu dépasser les 48 heures hebdomadaires pour certains personnels, alors que c’est la limite légale imposée par le Code du travail, ce n’est pas la règle générale. Ces deux phénomènes s’expliquent par l’effacement de la frontière entre vie familiale et vie professionnelle et la priorité légitime donnée au cadre familial, ce qui amène les personnels à travailler lors d’horaires antisociaux et donc à adapter leurs pratiques en fonction de ces horaires. Néanmoins, la difficulté de mener de front vie professionnelle et vie familiale ressort dans cette enquête. Il apparaît donc que le manque de préparation, de consignes claires et de concertation pour organiser le télétravail ont eu un impact sur son déroulement et sur la santé des personnels.

A suivre : l’impact du télétravail sur la santé


[3https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_SRPST_definitif_rectifie_11_05_10.pdf

[4https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/dares_analyses_salaries_teletravail.pdf

[5Rapport Gollac, ib., p. 157.

[6Rapport Gollac, ib., p. 104.


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