Sexisme et manuels scolaires

vendredi 15 janvier 2021
par  sudeducationalsace
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Sexisme et manuels scolaires

Outils de travail quotidien pour les élèves et les enseignant-es, les manuels scolaires sont hélas bien souvent les vecteurs de représentations stéréotypées, sexistes. Ils contribuent par là à perpétuer un ordre patriarcal synonyme de discriminations.
Le Centre Hubertine Auclert a produit de nombreuses études analysant les représentations sexuées dans les manuels d’histoire, de français, de mathématiques. Ces études permettent de mieux comprendre les biais sexistes de nombre de manuels.

Le Centre Hubertine Auclert, qu’est-ce que c’est ?

Le Centre Hubertine Auclert est un organisme créé en 2009 et rattaché à la Région Ile de France. Afin d’œuvrer à l’égalité femmes/hommes, le Centre Hubertine Auclert a développé différents axes : la création d’une plate-forme de ressources et d’échanges via son site internet, l’accompagnement de structures dans des projets, la promotion d’une éducation à l’égalité (études sur les manuels, campagne sur le cybersexisme en direction des établissements scolaires…).

Une sous-représentation des femmes

Les femmes sont très peu présentes dans les manuels. Seulement 3,2 % des biographies des manuels d’histoire sont consacrées à des femmes. Minorées comme actrices de l’histoire, elles sont aussi minorées comme auteures de documents-sources : près de 96 % des documents présentés dans les manuels scolaires d’histoire ont pour auteur-e un homme !

Le constat dans d’autres disciplines est tout aussi édifiant : les auteures proposées à l’étude dans les manuels de français ne représentent que 5 % de l’ensemble ! De même dans les exercices de mathématiques, on relève cinq fois plus de personnages masculins que féminins.

Cette sous-représentation concerne tous les domaines : scientifique, artistique, politique. Dans les manuels d’EMC, on trouve seulement 15 % de femmes dans le domaine relevant de la politique.

Des procédés de minimisation, d’invisibilisation et de cantonnement

Dans les manuels d’histoire, la place des femmes est souvent sur un strapontin, en annexe du corps des leçons, à la faveur d’une double page sur « les femmes et/dans… ». Il n’est même parfois pas précisé « suffrage universel masculin » pour désigner le mode de suffrage antérieur à l’accession des femmes au droit de vote en France. Les femmes sont souvent utilisées comme allégorie du régime, mais surtout pas présentées comme actrice de l’histoire politique : pour combien de Marianne, combien de références à Catherine de Médicis, Olympes de Gouges, Louise Michel, et bien d’autres ?
Dans les manuels scientifiques ou dans les pages des manuels d’histoire évoquant l’histoire des sciences, le rôle des femmes est le plus souvent minimisé. Ainsi on trouve dans un manuel de mathématiques, la photo légendée ci-contre, présentant Marie Curie comme une vague auxiliaire de son mari.

Le rôle pionnier capital d’Ada Lovelace dans le domaine de la programmation informatique est mis de côté, de même que restent anonymes les programmeuses du premier ordinateur créé en 1945 (montrées sur une photographie en train de brancher des câbles sans que soit précisé leur rôle essentiel).

En histoire, Voltaire est présenté comme le diffuseur des idées de Newton en France, sans que soit mentionné le fait que c’est Emilie du Châtelet qui a traduit ses Principes mathématiques…

Les procédés de cantonnement concernent aussi bien la représentation des enfants (dans les images des manuels de lecture, les petites filles sont vouées à rester à l’intérieur pendant que les garçons jouent à l’extérieur), que dans l’évocation des adultes (dans ces mêmes manuels de lecture, les femmes ont deux fois moins que les hommes une profession identifiée et sont minoritaires dans toutes les catégories professionnelles représentées). Dans les manuels d’EMC, la sphère professionnelle n’est composée qu’à 19 % de femmes.

Manuels de SVT...peut mieux faire !

Depuis 2011, les manuels de SVT ont introduit la notion de genre (au grand dam des groupes réactionnaires type vigigender) et initié ainsi une prise en compte du construit social dans la formation des identités sexuées. Si on peut se réjouir de cette avancée, on peut encore relever des aspects problématiques dans les manuels de SVT.

Ainsi, certains manuels ne daignent pas mentionner/représenter le clitoris, et à la rentrée 2017, seul un manuel sur huit le représente correctement, à savoir comme un organe de dix centimètres, qui ne se limite pas à sa partie externe. Cela n’est pas sans conséquence quant à la méconnaissance des jeunes filles de leur propre corps et du plaisir sexuel féminin.

De plus ces manuels de SVT invisibilisent le plus souvent les variations intersexes (qui ne correspondent pas aux définitions binaires type des corps masculins ou féminins) en présentant les sexes biologiques masculin/féminin comme binaires, bien délimités et en miroir...alors que les travaux scientifiques récents, comme ceux d’Anne Fausto-Sterling, montrent qu’il est plus pertinent de dépasser une vision binaire et de parler de continuum des sexes, tant les facteurs qui définissent le sexe biologique (génitaux, gonadiques ou chromosomiques) peuvent varier et se combiner différemment. Par ailleurs, quand les variations intersexes sont évoquées, elles le sont sous l’angle pathologique, comme des « malformations » ou des « dysfonctionnements ».

Des stéréotypes toujours présents

Le rôle des femmes dans la production économique depuis l’Antiquité est minimisé, et lorsqu’enfin on parle vaguement des ouvrières de l’industrie textile, c’est pour dire que « les machines qu’elles servent ne demandent pas de la force musculaire mais de l’habileté et de la concentration ». Dans le domaine privé, les représentations de femmes liées à la sphère domestique sont légion. De même, dans les représentations, les filles sont montrées comme soucieuses de leur apparence physique.

Pédagogies alternatives : avec ou sans manuels ?

Pour qui veut développer des pratiques pédagogiques alternatives, la question d’utiliser ou pas les manuels des éditeurs se pose. Il est souvent nécessaire de
construire ses propres outils/ressources, en particulier en matière de pédagogies antisexistes, tant les manuels sont déficients sur ce point. Ils peuvent néanmoins être utiles, pour les questionner, déconstruire les représentations et exercer le regard critique des élèves. Ils peuvent aussi fournir des ressources, qui peuvent être complétées par d’autres sources.
Ressources antisexistes alternatives

Sur internet, le site du Centre Hubertine Auclert fournit de nombreux outils, de même que les sites Genrimages (outils d’analyse d’image), Matilda (courtes vidéos) ou le site du Centre Simone de Beauvoir.
En histoire, l’ouvrage La place des femmes dans l’histoire– Une histoire mixte est particulièrement riche et informatif, tant du point de vue des savoirs, que des documents proposés.

Sur la construction de la représentation des corps, et le rôle du pouvoir médical dans ces assignations, on peut lire avec profit (et plaisir !) la BD L’origine du monde de LivStromqvist, à la fois drôle et très bien documentée. Du côté des ouvrages universitaires, citons Anne Fausto-Sterling : Corps en tous genres – La dualité de sexes à l’épreuve de la science, Les cinq sexes – Pourquoi mâle et femelle ne sont pas suffisants. Pour plus de références, voir les fiches ressources sur notre site sudeducation.org !

SUD éducation revendique

- la production de manuels qui fassent sa place entière à l’histoire des femmes, non pas sur un strapontin dans des dossiers documentaires annexes, mais dans le corps du texte et le fil de l’histoire (documents-sources d’auteures, féminisation des textes, évocation systématique de la place des femmes, vision genrée des événements et des concepts)
- une prise en compte non pathologisante des variations intersexes dans les supports pédagogiques.


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