RESF : Lettre ouverte aux policiers syndicalistes

vendredi 14 septembre 2007
par  sudeducationalsace
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Par Brigitte Wieser et Richard Moyon, Membres du Réseau Education sans frontières.

"Les consignes données aux services de police de faire du chiffre à tout prix en matière de chasse aux étrangers en situation irrégulière conduisent de plus en plus fréquemment à des situations humainement insupportables. Opérations massives et répétées dans les quartiers populaires et aux sorties de métro, contrôles d’identité au faciès (pudiquement couverts du terme d’extranéité), interpellation d’hommes et de femmes qui ne sont en rien des délinquants mais dont le tort est d’avoir cru trouver un avenir pour eux et surtout pour leurs enfants.

 

L’humiliation des menottes, de la fouille au corps, de la cellule crasseuse ; le coup de fil à la famille pour dire que papa ou maman ne rentrera pas ce soir… ni les suivants ; la prostration ou la rage, les tentatives de suicide, les automutilations ; les scènes de désespoir dans les avions, les coups, les passagers écœurés. Et maintenant les familles arrêtées à domicile, au petit matin, papa maman menottés devant les enfants, ou les grévistes de la faim arrêtés aux ­urgences des hôpitaux.
 
La question de l’immigration ne sera pas résolue de cette façon. Quand on a affaire à des milliers d’individus prêts à se jeter à mains nues sur les barbelés de Ceuta et de Melilla ou à s’embarquer sur des rafiots dont ils savent que presque la moitié n’iront pas au bout du voyage, la police française ne les arrêtera pas, et heureusement, parce qu’il y faudrait les moyens de la dictature ! Les chiffres annuels exigés des préfectures (125 000 mises en cause, 25 000 expulsions réparties en quotas départementaux, par exemple 45 pour l’Aisne, 60 pour la Marne, 111 pour les Ardennes, 75 pour la Somme, 3 680 pour Paris…) sont monstrueux dans leur formulation même. Ce délire planificateur n’est utile qu’à la gloire du ministre. Cela ­vaut-il de briser des vies par dizaines de milliers, de faire faire un sale boulot aux fonctionnaires, de leur faire expulser des gamins qui sont peut-être dans la classe de leurs propres enfants et de les faire passer pour des brutes en France et à l’étranger ?
Que peuvent penser les policiers quand, comme cela se produit régulièrement à Paris, des habitants (et pas des voyous !) se rassemblent pour prévenir les étrangers, saboter les rafles et parfois les contraindre à partir sous les huées ? Quand, comme à Amiens, un enfant de 12 ans prend le risque de se tuer en tombant du quatrième étage plutôt que d’avoir affaire à la police française ? Quand des enfants, ceux des sans-papiers mais aussi leurs copains de classe, ont la peur au ventre lorsqu’ils croisent un uniforme ? Quand leur action conduit une jeune femme de 22 ans à être incarcérée pendant que son mari se cache et que son enfant de 2 ans est confié à l’aide sociale à l’en­fance ? Quand on leur demande de procéder à des expulsions en moins de quarante-huit heures pour échapper au contrôle du juge des libertés et de la détention ? Quand, comme cela s’est produit en Guinée, des voyageurs croient se venger en molestant des policiers de la PAF ?
 
Nous ne pouvons pas croire que cela ne pose pas de vrais problèmes de conscience à un grand nombre de policiers. Nous le savons, en réalité, à le lire dans les yeux des gendarmes qui, dans les en­ceintes des tribunaux administratifs, voient des enfants arrachés aux bras de leur père maintenu en rétention, par le récit de sans-papiers qu’un policier humain a laissé filer, par ce que nous disent discrètement des policiers bien plus nombreux qu’on ne croit, parfois très gradés.
 
Les policiers ont, comme tout le monde, le droit (le devoir !) de s’interroger sur les missions qu’on leur confie. La traque des étrangers, les contrôles au faciès, la chasse aux enfants, aux nourrissons et aux amoureux, le démantèlement des familles : tout ce qu’on leur impose pour la gloriole d’un communiqué satisfait n’est pas acceptable. Il ne s’agit pas de rendre les policiers responsables de décisions politiques prises par d’autres. Mais que leurs syndicats fassent entendre leur voix pour dire que la coupe est pleine. Qu’on ne fera pas faire n’importe quoi aux fonctionnaires, et qu’au-dessus de lois de circonstances et de la démagogie existent des valeurs au service desquelles ils devraient être."
 
Article publié dans le quotidien "Libération" du 14 septembre 2007.
 

http://www.liberation.fr/rebonds/278332.FR.php

 

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